Ma peinture part d’un élan fondamentalement instinctif, qui petit à petit s’harmonise, s’ humanise et s’idéalise, se meut en artistique, devenant tour à tour, inventif, créatif, joyeux et rêveur. Une équation subtile qui m’entraîne vers un espace ouvert, illimité, l’univers tout entier, une forme d’idéal d’espace et de temps. Etre un artiste, c’est travailler sur l’affirmation d’une personnalité singulière, et prendre pas à pas conscience de la route que l’on doit emprunter, nourrie d’expériences sensibles, sans perdre de vue l’ici et le maintenant. Trouver son point d’ancrage, s’y amarrer solidement, avoir conscience dans chacun de ses gestes, de vivre, d’exister, cheviller ses principes au corps de toute toile et peindre pour vivre, pour être et appréhender tous les instants.
Se servir de tous ses sens, de toutes ses émotions, l' œil qui guide et qui choisit, enregistre et transmet comme un allié utile. Il ouvre cette porte magique d’un monde onirique, où le réel et l’imaginaire ne font qu’un, où tout se rejoint dans un cadre unique : celui du tableau.
Tous les outils sont précieux : les souvenirs d’une enfance qui rêvait de voyages et de marins, les premiers bords, moments gravés de liberté et de communion avec la mer, des songes de large, le bleu sous la lune et toutes les tentatives sur les cahiers d’essai, et tous ces exercices qui petit à petit rendent toutes les eaux calmes et limpides.
La couleur omniprésente telle une allégorie de la vie qui dit simplement « c’est ça, tu vis, tu y es » . Les couleurs le chantent, le fredonnent, le rythment, l’ondoient avec joie et clarté, et nous conduisent joyeuses à la salle des trésors.
Mon chemin se fait tranquillement, par étapes ; un départ puis grandir, une halte pour comprendre et réaliser, des aspirations pour accueillir les nouveautés, les expérimentations, le dessin de sa vie, le destin à dessein ; et entrer dans son estime.
Tout vivre, tout faire, tout conserver comme dans une sorte de royaume des souvenirs, réunis, unifiés, les plus récents ou ceux qui surgissent de l’enfance, toujours jeunes et neufs à l’infini.
Je me suis posée un jour la question de n’être que peintre, sans restriction avec l’ouverture et la réponse s’est imposée. Tu dois toujours être maître de ta vie, maître de ta destinée, complice de ses réalisations, il faut le faire vivre de ton art, de ce que l’art a donné ; vivre avec la peinture sans plus jamais réfléchir.
Avancer sur le chemin de la vie avec souplesse et dans le seul présent comme outil de toutes les lucidités, de toutes les consciences, de toutes les résolutions ; une porte vers la libération, une porte vers la liberté.
Un stylo, de quoi dessiner, de bons ustensiles à faire, pour avancer en demeurant, demeurer fidèle à ce qui est sa vie.
Réussir l’alchimie entre le passé des souvenirs et l’avenir des destinations nouvelles ; faire que le « où » devienne partout et donner à chaque jour un sens à sa naissance.
Le point de départ est toujours symbolique ; symbole fixe de notre cheminement : un zeste de nostalgie créatrice, des souvenirs de jeunesse, et cette intuition d’une appartenance à une famille, à une lignée, ancestrale, celles des peintres de toujours.
L’instinct qui pousse à créer, à chercher au cœur de soi et de son âme, le vrai, le juste, le rire, l’approbation, la sérénité, pour ne faire qu’un avec soi. Une once de réalisme, celui qui bâtit, qui nous fait croître et tenir debout, non comme des statues, mais comme des coureurs de fond et de sens, à la poursuite d’une idée ou d’un idéal, du natif à l’esthétique.
L’expérience artistique c’est vivre en conscience, celle de nos anciens, nos aïeuls, nos grands ancêtres, accepter leur présence éternelle, qui nous donne des ailes pour poursuivre notre rêve d’îles lointaines et continuer leur chemin de sagesse, celui de nos aînés, de nos alliés. Pour sereinement peindre la vie, et un jour, passer le gué.
Peindre, ce n’est pas forcément à atteindre l’idéal du beau ou d’un certain beau, c’est simplement s’émouvoir de la vision d’un champ d’oliviers au couchant, du regard d’une Esther qui souffre ou qui rit, du ciel qui se joint à la mer dans un uni de bleu. C’est faire flamboyer les rouges et les ocres, les entraîner dans une course tumultueuse et turbulente, leur donner de nouveaux atours bien loin de l’uniforme. Et faire le tour du monde.
Calibrer les nuances, redessiner les paysages, réaliser l’osmose en rêvant d’oisiveté et travailler comme jamais, tester et tenter dans un éternel été.
Au zénith de sa vie, on connaît enfin les raisons de ses choix, quand on a fait le choix non du pourquoi, mais celui du comment. Comment réunir toutes les phases, les versants, les aspects de son existence, l’ascendance, la descendance, la présence. Plus de rêves impossibles, mais juste se souvenir du parfum de violette de Marthe, de la théorie des ensembles, de la première scène d’Ubu. De tous les sentiments qui nous emportent en dehors de nous, vers nous. Des rois que sont les poètes et les peintres, qui œuvre après œuvre, gagnent les paradis. Ouvrir les jours, s’offrir les nuits, accéder aux mythes des grands livres, des kermesses antiques, des forêts symboliques, des camaïeux de verts et des irisés de bleus. Y aller !
La sérénité, c’est vivre dans une forme de confort intime et personnel, pouvoir avancer dans sa vie avec grâce, des trouées dans le ciel. Etre simple, résoudre les inconnues de toutes les équations, et trouver sur son chemin, tous les dénominateurs communs.
Vivre le temps comme s’il n’existait pas, intemporalité des gestes et des actions. Affirmer l’appartenance, se jouer des costumes, afficher sa différence, rejeter l’uniformité, et toujours accepter d’être témoin de son temps. Une éternelle jeunesse du rire et des idées, créer ses icônes, dans une vie de mémoire, de l’enfance au jour présent, une sérénité réelle et palpable, une sérénité symbolique.
Le bonheur d’être peintre, c’est de mixer les temps, d’unir les sentiments aux couleurs, mêler les différences. Transformer la poussière en matière vive et dans un pot de toutes les couleurs, faire naître le secret, le tendre, le subtil, le puissant, les retrouvailles intemporelles, enfin renouées dans le dessein de toute vie.
Muriel Cayet
Eté 2015