Ajouté le 26 oct. 2016
Des maisons pleines de recoins
Celui tranquille de l’être
L’autre plus sourd du devenir
Soi-même
Et là-bas, tapi, dans un angle mort
Celui perdu de la désinvolture.
Des maisons pleines de recoins
Qui soutiennent à force de cocons
Qui s’ouvrent sur l’enfance
Un horizon
Qui dissimulent le secret du non-dire
Qui cachent dans les armoires quelques doux souvenirs.
Des maisons pleines de recoins
La poussière accumulée, en chemin
Souffle sur le temps un éole endormi
Qui recouvre d’un drap des amours, les confidences.
Des maisons pleines de recoins
Des escaliers aux étages menant,
Maintenant
L’ascension de ceux qui savent,
Le possible
Des fenêtres qui laissent entrer le temps
Sans mobile.
Des maisons pleines de recoins,
Demandez la préface
Préférez l’épilogue
Des fondations aux frondaisons
La tête en avant
Pendant un long moment
Se penchent, invitent, oscillent.
Qu’il est grand ce passage
Qu’elle est longue cette rue
Qui abritent en tous points
Ces maisons pleines de recoins.
***
Encore une fois, elle avait raison
Les faits sont riches de sens, une oraison
Son intérêt pour l’autre dans le froid de leurs yeux
Laissaient débiteurs, les méchants, les envieux.
Elle avait eu raison une fois de plus,
Quand faisant crédit sans calcul, sans malice
Ils ouvraient grand leur bouche pour assouvir, leur malus,
Avant de couleur triste sort, sombre chute, le calice.
Elle avait toujours raison, c’était l’ancienne
Les ongles rognés par le travail, les années
Parfois souriante, toujours aimant, l’Emilienne,
Elle avait renoncé, jadis, à Jules, curieux fiancé.
Encore cette fois, elle avait eu raison
Quand l’autre Jean, le mauvais, le bucheron
A la chemise et à l’âme, pleines de taches, elle avait su dire non
Quand jouant l’aimé, il n’en voulait qu’à son giron.
***
Jamais je ne m’habituerai au printemps
Poussée des lys, ondées germinées
Terre pigmentée sous les rouges et les violets
Vanité de la nature croissant sous le vent.
Et tous ces verts peuplant jardins
Coteaux, sureaux, serments, sarments,
Et toutes ces fleurs en cascades sans tourments
Et dire que tout disparaîtra sans ma main.
Jamais je ne m’habituerai au printemps
Ca tombe bien ! Y ‘a plus de saisons !
Vivre un temps, sans escale, sans moissons,
Pour les primaveraphobes, quel repos, quel soulagement !
***
CA
Ca a débuté comme ça.
Carnaval de grimaces vénitiennes
Carcan de traditions stoïciennes
Camarades de délices italiennes.
Ca s’est poursuivi comme ça
Carambolage napolitain klaxon en main
Caravane détachée parquée au matin
Cardamome odorante pour un nez aquilin.
Ca a continué comme ça
Carmélite enfermée visitée, ma vieille tante
Caramel antédiluvien échangé, complice de Dante
Cancans not french ma que al dente !
Ca a commencé à m’agacer comme ça
Ca suffisait le tour des ancêtres
Carmine m’avait pris pour une sotte
Cartes routières oubliées sur la porte.
Ca s’est terminé comme ça
Catastrophique et joyeusement coloré
Car attrapé au vol séminaire d’aïeux
Ca chantait fort ! Sicile, je te fais mes adieux !
***
Un mot pour vous apprendre
Que le temps du silence a cessé de dormir
Et que le ciel a quelque chose à nous dire.
Un mot simple pour vous dire
Qu’il n’est plus temps de dormir
Et que le ciel s’en voudra de se retenir.
Un mot doux pour vous conquérir
Tendre cliché du ciel aux souvenirs
Sûr que demain, le cœur va en rire.
Un mot silencieux s’il vous plaît
Qu’il cancane sans bruit comme les oies du marais
Alors que le ciel sur nos têtes tombait.
Un mot judicieux exilé du lexique
Qu’il choisisse la bouche qui en sera le cirque
Havre nocturne sage comme une crique
Un mot crucial pour vous soutenir
Quand les jambes vacillent comme l’empire
Croire est un acte pour se le dire.
***
LES MURS
Derrière le mur de brume
S’estompait le jour glissant
Mystère né de la nuit.
Derrière le mur de silence
S’exclamaient les mots vrillés
Hurlement muet des registres.
Derrière le mur de givre
S’offrait luisante la mare
Patinage des grives gelées.
Derrière le mur des paroles
S’étend l’entendement tendrement
Susurrées, chuchotées, singulier chuintement.
Derrière le mur du soir
Sobre sursit avant l’oubli
Rêves à la nuit assujettis.
Derrière le mur de pluie
Perles solaires sous le joug des nuages
Gronde l’onde poinçonnée de gris.
Derrière le mur de l’être
Alignement allongé de pierres nues
Vides de vie, atomes inhabités.
***
Les gens de la rue
Lepic ou Jacob
Regards silencieux
Entroupés monotones
Déambulation, station, soumission
Caracolent en wagons sous le carbone.
Les gens de la rue
D’Issy ou d’Ivry
Impers en bannière
Cœur laissé en Bavière
Conspiration, machination, trituration
Cheminent en circuit fermé sur le bitume.
Les gens de la rue
De Seine ou de la Reine
Comprimés en mains
Compressés en trains
Manifestation, dépression, usurpation
Changent à Saint-Michel ou terminent à Glacière.
Les gens de la rue
Rivoli, Moselle ou Moskova
Mains crispées
Mâchoires serrées
Communication, manutention, attention
Sortent indemnes – ou presque – de leur rude journée.
***
J’aimerais vous décrire les milliers d’odeurs et de sons dont cet endroit est peuplé
Mais simplement, je vais, dans un grand répertoire et rien que pour vous, les noter
Vous pourrez quand je serais de retour de A à Z les retrouver
Et du hurlement de l’albatros au chuintement des wagonnets
Voyager en mots vivants, du clapotis des vagues habillant d’écume leur déferlement
Ressentir, entendre, composer le chemin en senteurs et balbutiements
Déambuler sous la voûte de silence pour revenir, émerveillé, au premier cri de l’enfant.
***
Parcourir ce pays de légendes de pierres
Tapissé d’une lande épargnée par les guerres
Peut être tranquille, suranné ou terrible
Quand le souffle du vent rend toute peur crédible.
Arpenter les caps à l’ouest de leur mémoire
Et dans le soleil plonger corps et âme dans le miroir
De la baie statufiant les épaves oubliées
Quand le souffle du vent s’emploie à la créer.
S’offrir un temps sans plus jamais ni toujours
Brassées d’ajoncs, de genêts et personne alentour
Pourquoi ne pas choisir de vivre ici dès maintenant
Quand le souffle du vent vous retient en chantant.
Demain se lèvera le jour nouveau sur la façade à glycine
Et les sonates des oiseaux dans l’air prendront racine
En ce pays vague de légendes amères
Quand le souffle du vent se brisera sur la pierre.
***
Il y a des moments dans les relations entre les hommes où le ton se gausse, se hausse, où les regards se baissent, se laissent, où le calme s’enfuit jusqu’à s’évanouir. Alors, la tempête couve, les yeux s’habillent de larmes, le désespoir. Les mains se crispent ou s’agitent ; des étendards. Les paroles se dévergondent ou deviennent muettes, criardes indisciplinées, regrettant leur bravoure inconsciente ; des remords. Ah ! Si nous avions un miroir pour qu’elles se voient ces mimiques ridicules, ces bouches ouvertes outrageusement, ces rictus malsains qui dévorent la bonhomie. Ah ! Si nous pouvions entendre le silence du respect, voir le visage du calme et du circonspect, apercevoir la mise de la tendresse et de la bienveillance. Prenez photo, miroir, écouteurs et respectez cette zone franche, paisible, où l’on passe la frontière de la gentillesse. Evoluez dans ce pays frontière où tout est simple si on le décide.
Il y a des moments dans les relations entre les hommes où tout est juste et ce pays accueillant, eh bien, c’est ici.
***
Un mot pour vous apprendre
Qu’en dehors du temps qui passe
Je ne vois rien à vous dire.
Un mot pour vous apprendre
Que dehors le temps passe
Sans jamais rien me dire.
Un mot pour vous apprendre
Que le temps de dehors passe
Et moi je n’ai rien à lui dire.
Un mot pour comprendre
Qu’en dehors du temps de dehors
Existe le temps de dedans et que lui me dit.
Que j’ai un mot à vous dire
Et que c’est que j’apprends du temps
Et que je comprends de lui.
Un mot pour vous apprendre
Que le temps m’a dit
De vous dire de ne jamais attendre.
Un mot pour vous dire
De toujours apprendre
De tout prendre sans attendre.
Un mot encore pour vous apprendre
Qu’enfin j’ai appris
Du temps qui passe dehors
Et qu’en dedans je lui dis
Vivre c’est apprendre
Apprendre c’est vivre
Juste un mot encore
Pour vous attendre.
***
Après quelques semaines de pluie
Pluie rose du matin des jolis teints
Pluie rouge du soir sous les embruns
Pluie verte inondée des prairies
Pluie bleue sur les vallées d’écume.
Nous avons pris notre parti
De cette pluie
Notre nouvelle patrie.
Au pays de la pluie, la petite et la grande pluie,
J’ai appris le doux, le flou, le cendré, la nuance.
J’ai compris le gris doux, le gris lumière, le gris souri-ant.
Un quotidien de rideaux de gouttes à esquiver
Un fréquent de flaques dorées Un fréquent de flaques argentées
Un océan reçu dru sur les cirés
Des douches à laver la misère.
Après quelques semaines de pluie,
Nous avons cru à un miracle
A l’est dégagé, nous avons vu une ombre
Jaune, encerclant les nuages.
C’était lui qui revenait, oui, le soleil
En équipage de beau temps.
Le regretterions-nous, le temps béni de l’eau ?
Oh ! Pas longtemps.
Chez nous, le soleil est équipé d’une minuterie.
Et en deux heures à peine,
Reviennent tapageuses et joyeuses,
De toujours nouvelles gouttes de pluie.
***
VENUS ICI
Nous sommes venus ici, tout d’abord, pour rencontrer
Celui que l’on connaît, et que l’on pense avoir oublié
Celui que l’on appelle communément son double
Celui devant l’esprit duquel, la peur redouble.
Retrouver le passé de ce qui fut soi
Renaître sous le ciel dans un faux habit neuf
Troué des escapades et des professions de foi
Et pourtant, toujours nu comme un œuf.
Nous sommes venus ici pour rencontrer les souvenirs
De ces heures enfouies, de ces si lointains rires
Retrouvailles célestes en pays bassement celte
Où le temps s’arrête juste pour se voir finir.
Au bout du monde à mi-chemin de la vie
Savoir qu’hier est au passé ce que demain est à l’ennui
Que l’enfant de jadis a péri
Que le règne de l’adulte vit en aujourd’hui.
Nous sommes venus ici pour rencontrer qui ?
Lui, lui, lui et encore Lui,
Tapi, caché, cloîtré, béni, honni,
Lui avec un grand L qui fait peur aux furies.
Nous sommes venus tout d’abord le retrouver
A l’aube de la sérénité, à l’issue de la vanité
Quand le temps serein se conjugue au présent,
Quand on vit enfin pour soi sans jugement.
Que le dernier soit puisqu’il en est ainsi
A la fin, quand le temps aura puni
Le lendemain, privé d’apparaître à nouveau,
Pliant sous le joug des vieux os.
Nous serons venus ici au pays de la terre
Reprendre vie l’espace d’un instant – Temporels
Atomes devenus, séquences chromosomiques, molécules éternelles,
Nous filerons bientôt, joyeux, reconstitués,
Vers une nouvelle ère, vers une nouvelle mère.
***
La légère brume bleue qui recouvre la baie
Eblouit d’une gaze opaque ma vision du marais
Quand mon œil se fixe sur un oiseau, un banc de sable
Aussitôt s’évanouissent l’un et l’autre, impalpables.
Un homme à cheval sur la dune au galop
Puis d’un coup il s’arrête… et disparaît, englouti – Une seconde de trop
Il a compris trop tard que mouvants sont les sables,
De la baie, c’est connu, on a tous appris la fable.
Mais il réapparaît sur la rive,
Beau, brun, bouclé, teint halé ; une esquive
C’est le fantôme de la marée montante
L’époux comblé de Dame Ecume, fée militante.
Les rêves peuvent être joyeux ou imbéciles
Ne jamais les juger nous disent-ils
Quand leur présence nous habite
Au banquet des images, nous invitent.
La légère brume bleue et la baie sont endormies
Avec elles, le souvenir du conte et du cavalier chéri
C’était un rêve, un doux, un joli, un gentil
De ces rêves d’escapade qui font du bien à la vie.
***
Nous progressons à la mesure de cet espoir
Celui du rire, du jovial, du limpide, du sacré,
Celui qui fait place à la douceur des soirs
Et qui fait sortir de leurs écrins, les ors dorés.
Nous progressons à la mesure de cet espoir
Celui du rose, du bleu du clair et du coton
Celui qui orne les palais, du chintz, des miroirs
Et qui fait vibrer les notes pleurant des violons.
Nous progressons à la mesure de cet espoir,
Celui du gai, des pinsons, des merles et des colibris
Celui des mouettes, des goélands, des oiseaux noirs ou gris
Et qui fait valser les idéaux, les philosophies.
Nous progressons à la mesure de cet espoir
Celui de l’art, des feux joyeux, des couleurs chamarrées
Celui des tableaux, des carnets, des peintures, des grimoires
Et qui fait vivre plus fort le souffle sans fin des étés.
Muriel Cayet - Poésie Au Présent ( été 2016)