Ajouté le 17 nov. 2003
Ma démarche…
Il est évident que l’on ne peut considérer l’art comme un concept statique, un état figé. Art et évolution vont, à mon sens, de pair. Il en est de même pour l’art visuel qui évolue sans cesse et qui permet à toutes les formes artistiques d’évoluer elles –aussi. Plus pragmatiquement, le fait de pouvoir exposer virtuellement ses toiles sur le Net permet de gagner du temps, de montrer son travail au monde entier en quelques secondes et les retours multiples prouvent que les visiteurs sont nombreux et cela permet à l’art de se propager plus rapidement encore et d’envahir positivement la plupart des foyers au moins occidentaux. Bien entendu, nous devons rester vigilants face à l’image et à ces éventuelles manipulations, sur le plan sociologique entre autres. Mais avouons tout de même aussi que bon nombre de nos visiteurs virtuels se trouvant face à nos toiles lors d’expositions « réelles » ou « physiques » disent : cela n’a rien à voir avec l’image, c’est beaucoup mieux en « vrai » ! Et tant mieux que cela soit mieux en vrai, la surprise est bonne, mais il n’empêche que nos visiteurs virtuels auront été invités à cette exposition physique via leur ressenti à la vue de l’image …
Jusqu’où irons-nous et quels seront les impacts du progrès technologique sur le regard des amateurs d’art ?... Bien grande question, à laquelle évidemment, je ne me risquerais pas de répondre… A nous artistes, de demeurer lucides, vigilants mais néanmoins ouverts à toutes les innovations légitimes, et de privilégier toujours, mais plus encore pour soi, pour le plaisir très personnel que cela procure de manipuler de tels outils, la plume et l’encre ou la toile et le pinceau…
Ma démarche artistique :
Je vais devoir ici envisager deux états qui en fait n’en font qu’un : celui d’artiste et celui d’art-thérapeute ou artiste accompagnant la création, ou comme encore artiste compagnon de voyage ( termes choisis et bien choisis par MC Joulia, Artiste-peintre, compagnon de voyage à l’hôpital psychiatrique de Bourges). En atelier, nous sommes tous des co-créateurs et nous devons apprendre à créer en compagnie, et parfois à être seuls en compagnie, ou encore à accompagner dans la création en se mettant soi en retrait ! J’aime ce rôle de troisième regard, d’œil étranger mais néanmoins ami qui se pose sur les toiles ou les écrits de ceux que j’accompagne : je suis comme le guide de haute montagne, j’assure la voie, et ensuite… je me mets en retrait pour ne jamais gêner l’autre dans l’expression.
Etre seul… en compagnie !
Quand j’écris – pour moi- ou quand je peins, je suis seule le plus souvent, mais jamais je ne me sens quelqu’un de particulier, en dehors de la réalité et des préoccupations du quotidien. Mais je me sens incontestablement plus riche, plus forte aussi, parce que je dispose de ce plus qui me permet de rejeter tous les miasmes de ce quotidien, de les rejeter en les magnifiant par la création artistique. Les artistes sont peut-être des gens à part en ce sens qu’ils sont des éponges et qu’ils absorbent tout : le Bon, le Bien, le Beau, sans doute, mais aussi tout le reste et jusqu’à l’engorgement. Heureusement, l’expression est là pour permettre d’évacuer, de dire, de rejeter…dans l’urgence ou dans la réflexion, et de sublimer – concept primordial mais bien compliqué que celui de la sublimation…- les pulsions, mais aussi les peurs, les doutes, les traumatismes – autre concept primordial que celui de la résilience …
Créer…
Dans l’acte créatif « pur » il n’y a souvent aucune préméditation, mais une sorte d’instinct, d’obligation vitale fulgurante qui pousse l’artiste peintre à ses pinceaux et à sa toile blanche, et l’auteur la plume et la feuille, blanche elle aussi. « Peindre s’est se créer soi-même ».
Picasso disait aussi : « si l’on sait exactement ce qu’on va peindre, alors à quoi bon le peindre ».
Ce constat m’oblige à m’arrêter un instant sur l’absence de préméditation et sur le besoin vital de créer, et comme je parle de ce que je connais, d’écrire par exemple.
Je ne puis qu’adhérer et confirmer que je ressens moi aussi en commençant une histoire une sorte de vide magnifique, un chemin à tracer, des vies à enfanter, des articulations à huiler, un vaste programme dont je sais que je sortirai grandie, changée, enrichie, mais que je démarre en ignorant absolument où je vais véritablement. Je dispose de pistes, de clés, d’un fil conducteur, certes, mais je ne connais pas les aboutissants de ces postulats. Parfois une histoire peut naître d’un mot ou d’une image, d’une sensation, d’une odeur, elle naît mais on sait intrinsèquement, presque viscéralement qu’elle était en nous, prête à mûrir, qu’il suffisait d’un élément extérieur anodin le plus souvent, pour que tout s’enchaîne. Absence de préméditation certes, besoin immédiat à satisfaire comme dans l’urgence d’un besoin vital, encore, mais aussi une notion plus vague qui n’est pas uniquement celle de précaution évoquée dans le manuel, mais je dirais de prédestination.
Comme si tout ne demandait qu’à se mettre en œuvre, naturellement, mais d’une manière obligée. Comme si aussi, nous nous fixiions un but, celui de donner absolument un sens à chaque œuvre, qu’elle soit littéraire ou picturale pour ce qui me concerne et qui a chaque fois, rend la vie plus riche, plus pleine, plus ronde, plus consciente et plus aboutie.
Tous ces qualificatifs me poussent à ne jamais cesser de créer, pour accomplir, pour aboutir, pour avancer, creuser encore et travailler, sur soi, acquérir des connaissances, mais aussi marquer de son empreinte son temps, graver les mots et les couleurs, pour transmettre quelque chose, l’essence de soi, pour que ce passage sur terre serve à quelque chose, pour qu’une part de soi demeure après la mort. Certes la maternité permet aussi de ressentir cette possible survivance, cette poussière d’éternité, c’est pour certaines et certains, l’une des plus belles œuvres qu’une femme puisse créer !
On naît souvent au monde et à une certaine forme de connaissance de soi en mettant au monde un enfant et ce processus naturel, mais magique, se retrouve dans la création d’une œuvre artistique.
Nature et magie se mêlent pour tenter d’atteindre une certaine forme d’éternité. Créer ou recréer le réel, quand on a conscience de sa magie, devient un besoin vital, presque aussi irraisonné que peut l’être le désir d’enfant, ce si inexplicable sentiment qui naît au fond de soi.
Je suis femme, mère, auteur, coloriste et art-thérapeute, je cherche aussi, je trouve parfois, je n’ai aucune autre certitude que celle de vouloir toujours avancer, pour que ce passage, cette vie, serve à quelque chose, que j’aie l’absolue conscience de vivre chaque instant, que je ne passe pas à côté de cette magie.
La création quelle qu’elle soit, permet de donner un sens à sa vie et je dirai plus encore, un sens à la mort… qui n’a de sens que si elle ne représente pas une fin absolue, mais une cessation d’existence, le souvenir, la mémoire, les œuvres demeurant.
Absence de préméditation, besoin vital, énergie intrinsèque et viscérale, volonté consciente ou non de marquer son temps, de transmettre : c’est ainsi que je ressens, que je comprends la création artistique.
Il me revient en mémoire à ce stade précis de cette analyse, le très intéressant livre de Viktor E. Frankl ( psychiatre, docteur en médecine, philosophe, né en 1905 en Autriche et longtemps prisonnier des camps de concentration) Découvrir un sens à sa vie … avec la logothérapie qui aime à citer Nietzsche : « Celui qui a un « pourquoi » qui lui tient lieu de but, de finalité, peut vivre avec n’importe quel « comment ».
Et ne pourrions-nous pas aller plus loin en considérant que chacun a un pourquoi, que chez tout individu, même en situation de difficultés, de souffrance, de rejet, de désastre personnel, persiste des zones sensibles, actives, primordiales capables d’entrer dans une dynamique de vie, de résistance et dans le domaine qui nous occupe, de création, de succès par la création, de reconquête de l’estime de soi par l’expression artistique.
De la toile blanche à l’œuvre réalisée, les pensées les plus profondes, les nœuds et les blocages, les désirs prennent forme, remontent à une forme de mémoire vive qui s’exprime par le pinceau, ou les notes, ou l’écriture ou encore les mouvements du corps, mais transformés, sublimés ou encore éloignés.
Lutter contre le vide existentiel, donner un sens à sa vie en ayant conscience de sa responsabilité, être conscient du caractère limité de la vie et irrévocable de ce que nous faisons de notre vie et de nous-mêmes ; il semblerait que les artistes, poussés par cet irrépressible besoin de créer toujours, soient plus « riches » mais aussi plus à l’abri de ce vide existentiel.
L’accomplissement d’une œuvre est vital pour l’artiste, certes, mais en donnant un sens à sa vie, il s’éloigne aussi du vide existentiel, ce qui n’exclut pas l’angoisse de la création, de la difficulté de créer… mais c’est autre chose !
Et les artistes gravent ce passé, le martèlent ou l’offrent non pas seulement pour atteindre l’éternité, mais pour donner un sens à ce passage éphémère et aléatoire qu’est la vie.
Je retiendrai pour ma part cette phrase de Flaubert, que je fais non seulement mienne sans réserve, mais qui se rapproche étrangement de notre sujet de réflexion :
« L’art n’est grand que parce qu’il grandit. » (Correspondance à Louise Colet 1847).
La vocation…
Mon illustre voisine, George Sand a dit : « Je n’ai jamais voulu être autre chose qu’un artiste » et je reprendrai volontiers ces termes ! Je crois que jamais je n’ai voulu être autre chose qu’une artiste et même si j’ai fait des études dites classiques de Droit et à l’Ecole du Louvre pour devenir commissaire-priseur – ce que je ne suis pas devenu pour des raisons d’achat de charges etc…- et que j’ai passé des années à travailler comme médiatrice, je savais que je désirais créer et accompagner des personnes dans le processus de création . Je le savais depuis l’âge de 15 ans. C’est après sept années d’études dans divers instituts que je suis devenue art-thérapeute en appréhendant pendant des années le processus de création, en me colletant avec les outils que sont l’écriture, le récit de vie plus particulièrement et bien entendu avec la toile et les couleurs !
J’étais artiste, mais je le suis surtout devenue. C’est un chemin qui se vit au jour le jour, c’est une quête, c’est un questionnement perpétuel que l’état de créateur. Je n’ai jamais pris la décision de devenir artiste : elle s’est imposée à moi, au fil du temps, au fil des études, au fil du travail personnel, des réflexions…
Et ce n’est pas un but en soi, un état figé, une position dominante, une situation stable ! Loin s’en faut : c’est un travail de chaque seconde, une remise en question permanente, une volonté affirmée aussi de ne jamais camper sur ses positions mais de chercher, creuser, approfondir, avancer, en un mot : travailler !
Mon père est peintre, mes deux grands-pères l’étaient aussi, ma mère travaillait dans le domaine de l’art avec des commissaires-priseurs ; aussi jamais ne sont-ils venus gêner la création chez moi, bien au contraire. Ils l’ont toujours encouragée ! A quatre ans, j’ai créé mes premières toiles abstraites et mon grand- père paternel me faisait composer des dégradés et des dégradés de couleurs ; des pages de dégradés ! Aujourd’hui à chaque coup de pinceau, je le remercie !!!
Comme je le disais précédemment, je n’ai jamais cessé de peindre, d’écrire, de créer toutes sortes d’objets, de modeler, de faire de la photo aussi et ce depuis l’âge de 4 ans. Je crois n’avoir jamais connu un seul moment d’ennui véritable – je ne parle pas ici de l’ennui recherché, voulu, souhaité que j’appelle plus volontiers contemplation, et mes parents ont souvent dit que précisément, je n’avais jamais dit : « Je m’ennuie ». Ce fut comme une sorte d’évidence pour moi ; vivre, créer, respirer, apprendre, créer, travailler, créer…
Apprendre…
Je parlais plus haut de chemin, de parcours, de route et pas forcément toute tracée. Je crois qu’on avance dans la création, on cherche, on trouve aussi et surtout on a de belles surprises et sans cette découverte de soi, cette rencontre avec soi, je ne crois pas qu’on continuerait de créer. Créer c’est aussi se dire à soi qui on est… et ce qui vaut pour l’un, autrement dit pour moi, ne vaut pas forcément pour d’autres artistes…
Les bons souvenirs d’exposition…
Sans hésiter : la rencontre avec les enfants, les tout-petits – de 2 ans à 5 ans- qui ont posé de bonnes questions ! C’est fou ce que les enfants comprennent qu’on doit ressentir, qu’on doit s’émerveiller avant de chercher à comprendre… comprendre quoi d’ailleurs ? Un voyage intérieur, un lâcher-prise ; cela ne se comprend pas, cela se vit, intérieurement et les enfants savent parfaitement le faire !
Des souvenirs malheureux ? Non, je ne vois pas ! mais je suis comme les enfants, je m’émerveille de tout, et je transforme tout en actions, en émotions positives, en influx, en énergie de vie. Alors non, je ne vois pas !
L’avenir…
Evidemment la possibilité de créer et de montrer son travail sans être entravé par des soucis d’ordre mercantile ; mais c’est sans doute beaucoup demander et les mécènes ne sont pas légion… !!!
En tout état de cause, permettre aux artistes de bénéficier de moyens concrets d’exposer leur travail sans avoir à payer des sommes folles, de se mobiliser les uns les autres afin de pouvoir louer des espaces à des prix compétitifs. Créer dans son coin est une chose, même une bonne chose, mais à un moment ou à un autre, on a envie et besoin de s’exposer, d’ouvrir sa production au plus grand nombre, de dire aux autres aussi, après l’avoir appris de soi dans la création, oui de dire aussi aux autres : voilà qui je suis ! C’est moi ! Alors un rêve serait de permettre aux artistes professionnels de voir organisée pour eux, une exposition dans un bel espace, ne serait-ce qu’une exposition par an. Une exposition gratuite, financée par les institutions, les collectivités territoriales, le mécénat, les Pouvoirs Publics, que sais-je…
La reconnaissance, la gloire, la notoriété : je n’en parle même pas. Je parle simplement de la possibilité de créer, d’exposer, de dire, de faire avancer une certaine forme de réflexion, de faire rêver les uns et les autres, de permettre le voyage intérieur, et pourquoi pas l’éblouissement, l’émerveillement.
Oui, le plus beau des rêves serait de bannir le désenchantement et de permettre l’émerveillement : donnons aux artistes cette possibilité ! Ils ont un rôle social à jouer ; ne le nions pas, bien au contraire !
Travailler ! Lire, apprendre, regarder, vivre, sentir, écouter, écrire, ouvrir toutes les vannes, et lacher-prise et s’offrir au monde… et plonger, y aller, sans résistance, laisser faire, et dire, dire vraiment Comme je le disais plus haut, l’artiste crée seul, le plus souvent, mais il n’en demeure pas moins un être social, qui a besoin de se sentir épaulé, de se sentir compris voire aimé par d’autres artistes qui comme lui, connaissent les doutes, les questionnements, les affres parfois de la création. Il doit pouvoir sans cesse être seul en compagnie. Nous savons, nous artistes, que d’autres sont là et travaillent pour nous mais surtout avec nous. Et nous avons besoin de ces échanges, de nous dire aussi, les uns aux autres, qui nous sommes ! Pour avancer toujours et encore, et je le répète, on avance sans doute beaucoup plus vite en étant accompagné, avec le regard extérieur, cette troisième oreille, avec l’Autre, bienveillant et attentif, voire critique, mais lucide, et ami.